Photographe, vidéaste et metteur en scène, Martine Barrat quitte Paris en 1968 pour s’installer à New York. Elle y coordonne un atelier de théâtre, de vidéo et de musique avec un groupe de jazz de Saint Louis. Ce travail avec les enfants des quartiers du South Bronx et de Harlem ne cesse de l’inspirer. De 1968 à 1972, tout en continuant sa collaboration avec les musiciens, elle s’est consacrée à la vidéo sur ce monde du jazz qu’elle fréquentait quotidiennement.
De 1973 à 1978, elle réalise une série vidéo sur la vie des membres des gangs du South Bronx dont elle réussit à se faire accepter et qui la considèrent comme une amie. Ces vidéos la mobilisent pendant plusieurs années, intitulées You Do the Crime, You Do the Time, elles sont en partie présentées au Whitney Museum of American Art de New York et obtiennent le Prix du meilleur documentaire à Milan.
En 1977, elle débute un travail photographique. Les rues de Harlem restent son paysage de prédilection, elle y photographie les clubs de boxe, de jeux, les églises… toute une vie de quartier aujourd’hui menacée par les pressions immobilières. Son livre Do or Die, publié en 1993, préfacé par Gordon Parks et Martin Scorsese, réunit ses photographies autour de la Boxe. Au-delà de la violence des combats, c’est la dimension rituelle du sport et la fraternité qui apparait dans ses images.
Dans les années 1980, Martine Barrat ajoute la Goutte d’Or à ses déambulations photographiques. Elle se concentre alors particulièrement sur les enfants de ce quartier parisien. Dès qu’elle est de passage en France, elle y retourne et mène divers projets avec les habitants, devenus ses amis.
Ses photographies, à la fois politiques et intimes, reflètent les liens que la photographe a tissés avec ses sujets et la force de son engagement auprès des communautés qu’elle rencontre. Chacune des images est un hommage et les héros de ses portraits apparaissent à la fois graves, sereins et joyeux. Dans l’œil bienveillant de Martine Barrat, ils témoignent de la véritable âme de ces quartiers, entre misère et flamboyance.
Son travail a été exposé aux Etats-Unis, en Europe, au Japon et en Afrique, et a fait l’objet de publications dans des titres tels que The New York Times Magazine, Life, Vanity Fair, Vogue, Paris Match, Le Monde et Libération.
Harlem ou la poétique des corps
« Martine Barrat est véritablement l’Eugène Atget du Nouveau Monde de la fin du XXe siècle. Harlem est son Paris, et Martine Barrat porte sur elle un regard qui allie acuité documentaire et plaisir esthétique. Elle s’intéresse davantage aux portraits qu’aux scènes de rues que chérissait Atget. Et c’est tout à fait juste, car les habitants de Harlem, aux États-Unis, ont bien trop souvent été perçus comme des objets – objets de pitié, de curiosité, de stupéfaction, de sensation. Bref, d’une certaine fétichisation. La réalité du monde est pourtant présente dans ses portraits. Harlem est une grande métropole noire, en état de siège perpétuel. Pendant une grande partie du XXe siècle, Harlem fut un sujet de photographie prisé pour des photographes aussi divers que James Van Der Zee, Aaron Sisking et Gordon Parks. Mais ces trente dernières années ont été difficiles pour Harlem, dans sa réalité comme dans sa présence photographique. D’un point de vue visuel, ces années ont trop souvent été des années d’oubli (« On en a marre du déclin urbain », disent les observateurs) ou de clichés (« Fais-moi une photo de ce junky en train de se shooter ! », crie le directeur de publication). Martine Barrat sait que même en état de siège, les gens continuent de vivre. Elle ne nous permet pas de dramatiser ce que nous voyons ou ressentons. Son travail est empreint d’une beauté à la fois émotionnelle et formelle. Mais il ne s’agit pas d’une beauté sentimentale : elle ne dépend pas de ce que l’on sait de la vie hors du champ de l’image photographique. La jeune fille qui pose en vedette – les jambes dans la parfaite posture d’une star de la Motown et le mouvement de jupe, volants et nœud parfaitement en place – ; la célébrité peut être à portée de mains. Et sinon ? Son grand moment, si fragile, sous les feux d’un lampadaire, son charme si vulnérable, son désir si intense… tout y est, et jamais ne se ternira ou sombrera dans l’oubli. Il y a plus de vingt ans que je regarde les photos de Martine Barrat. Et je suis toujours aussi émue par leur justesse formelle et émotionnelle. Je vois des êtres saisis dans un instant particulier ou intime. Je retiens mon souffle, en suspens entre l’infini du moment connu et l’infini du futur inconnu. »
Margo Jefferson – Critique d’art, lauréate du prix Pulitzer. Rédactrice pendant 13 ans au New York Times, auteure de “On Michael Jackson” (Pantheon, 2005 et Vintage, 2006)
« L’entreprise de Martine Barrat me paraît unique dans son genre. D’ailleurs, dans le monde entier, à New York, à Rome, à Paris, cela commence à se savoir. Martine Barrat témoigne de la vie des habitants de Harlem, du South-Bronx, de cette périphérie tragique du nord de N.Y.C. Son travail consiste à obtenir que les gens s’expriment devant elle, provoqués par elle, aussi librement qu’en son absence. Cette liberté retrouvée tient du miracle. Est-ce que celui-ci tient de l’amour de Martine Barrat pour les désespérés de New York? Peu importe. Ce qui compte c’est que les documentaristes du monde entier ont cherché cette liberté là pendant des décennies sans jamais la trouver et qu’enfin, voici que Martine Barrat l’obtient. Le cinéma-vérité est ici dépassée. Un autre miracle se produit : c’est qu’en parlant de leur désespoir ces gens de New York nous parlent du nôtre : tout à coup, nous ne sommes plus séparés. Il faut aider Martine Barrat par tous les moyens possibles en cours. Ce qu’elle fait compte parmi les entreprises les plus importantes du temps actuel, à l’échelle mondiale. »
Marguerite Duras, 1983
« Étonnantes, belles et dérangeantes. Voilà mon premier sentiment à la vue de ces images. Les photos des quartiers pauvres dessinent l’arrière-plan – rues dévastées, état de désolation, paysages d’une zone de guerre virtuelle soulignant avant tout les chances infimes, non pas de vie ou de réussite, mais de simple survie.
D’un jeune Portoricain de six ans, Carlos, se préparant au combat, elle écrit : « Ses yeux m’ont percé le cœur. » Nous nous en apercevons dans ses photos – le regard de ces jeunes garçons reflète l’espoir, celui de briser tout ce qui les entoure afin de rester en vie. Ces photos rendent aussi compte d’une menace – outil nécessaire à la survie et qui doit être cultivé. C’est justement là ce qu’autorise la boxe.
Les scènes dans les vestiaires ressemblent à des rites religieux : combattants se préparant au sacrifice ou à la rédemption, boxeurs sautant à la corde face au miroir dans une posture de martyr. Deux jeunes garçons debout sur le ring, mains gantées sur le cœur juste avant de combattre, me remettent en mémoire combien la société approuve ce spectacle de lutte et de souffrance, à condition qu’il existe des règles et des cérémoniaux pour en adoucir l’amertume naturelle.
Ce sont là des photos somptueuses et pleines de force. Quel que soit votre sentiment à leur égard, elles montrent la seule et triste vérité de la survie : avoir la rage, la cultiver et s’en sortir par la force des poings. À quoi vous attendiez-vous donc ? »
Martin Scorsese – Préface du livre Martine Barrat, “Do or Die”, États-Unis, Viking Press, 1991
COLLECTION
Centre George Pompidou, Paris ; La Maison Européenne de la Photographie, Paris ; La Bibliothèque Nationale de Paris ; Museum of Modern Art, New York ; Whitney Museum of American Art, New York ; Brooklyn Museum of Art ; Museum of the City of New York ; Schomburg Center, New York.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrage spécifique
Do You See Your Face ?, Établissement Lyonnais d’Art Contemporain, France, 1994
Do or Die, Viking Adult/Penguin, New-York, 1993
Die Boxer, éditions Rowohlt Verlag, Allemagne, 1991
My Friends, Yohji Yamamoto, Japon, 1987
Martine Barrat, Musée d’art moderne de la ville de Paris, Paris, 1984
Autres ouvrages
Elles, Elles x Paris Photo, éditions Textuel, Paris, 2023
50 ans dans l’oeil de Libé, Lionel Charrier et Charlotte Rotman, éditions du Seuil, Paris, 2023
Métamorphose. La photographie en France 1968 – 1989, Michel Poivert, Hazan Eds, Paris, 2022
50 ans de photographie française. De 1970 à nos jours, Michel Poivert, éditions Textuel, Paris, 2019
La photographie française existe…Je l’ai rencontrée, Jean-Luc Monterosso, éditions Xavier Barral, Paris, 2018
O Samba Pede Passagem, catalogue pour le Samba Film Festival, Caixa Cultural, Brésil, 2015
Harlem The Sound of the Soul, Transparent, 2012
Les Paradis Secrets d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé, Albin Michel, France, 2010
Une Vie Saint Laurent, Albin Michel, France, 2010
Harlem in Meinem Herzen, Cicero, Allemagne, 2010
Gold Book: 40 Years of Die Zeit, Die Zeit, Allemagne, 2010
The Fighter Still Remains, Fore Angels Press and DiBella Entertainment, Etats-Unis, 2010
Justin Time Records, Silence, couverture du CD de David Murray, Etats-Unis, 2008
Photographies modernes et contemporaines, Collection Neuflize Vie, Flammarion, France, 2007
Harlem in my Heart, Maison Européenne de la Photographie, 2007
Die Zeit, Kursbuch, Allemagne, 2006
Dos relatos porteños, Mansalva, Argentine, 2006.
Est-ce ainsi que les Hommes vivent ?, éditions du Chêne, France, 2005
Le Monde, octobre 2004
Interview dʼImage, Seuil, France, 2004
In Our Own Image, Running Press, Etats-Unis, 2001
Rope Burns, Random House, Angleterre, 2000
Ohno Kazuo / Tamashii no Kate, Film Art, Japon, 1999
Steidl, Azzedine Alaïa, Azzedine Alaïa’s Book, Allemagne, 1998
Un Amour Fraternel, LʼOlivier/Le Seuil, France, 1996
A History of Men’s Fashions, Flammarion, France, 1993
More Reflections on the Meaning of Life, Little Brown, Etats-Unis, 1992
Le nu au chiffon blanc, Agnes B, éditions Galerie du jour, 1988
Family Installments: Memories of Growing Up Hispanic, Penguin, Etats-Unis, 1983
Pictures shown in Yves Saint Laurentʼs home, Décoration Internationale, France/Italie, Décembre 1982/Janvier 1983
Le Dictionnaire des Photographes, édition du Seuil, France, 1982
Miss Harlem Beauty Pageant Poster, Official Photographer, 1982
Ville de Paris, 1981
Schizo-Culture 1, Volume III, No. 2, Semiotext(e), Etats-Unis, 1978
EXPOSITIONS
2023/2024 – Cosmic Shelter: Hélio Oiticica and Neville D’Almeida’s Private Cosmococas, Hunter College Art Galleries: Bertha and Karl Leubsdorf Gallery, New York
SPOT24, The Olympic Exhibition, sport and urban cultures, SPOT24, Paris
50 ans dans l’œil de Libe, Archives Nationales, Paris
2023 – I remember you well in the Chelsea Hotel, Galerie Vallois, New York
Les Photographes de rues, Paris Photo 2023, Grand Palais Ephémère, Paris
2022 – Keep The Fire Burning, Palais de Tokyo, Paris
Hip-hop 360. Gloire à l’art de la rue, Philharmonie de Paris
3 Décennies de Résistance, Echomusée La Goutte d’Or, Paris
Children, Galerie Agnès B, Paris
Métamorphose – La photographie en France 1968-1989, Pavillon Populaire, Montpellier
2021 – Paris Photo 2021, Grand Palais Ephémère, Paris
Willi Smith: Street Couture Exhibition, Cooper Hewitt, New York
34e Bienal de São Paulo
2020 – Urban Film Festival par François Gautret, vidéo “True Warrior”, Paris
Féminin, La Galerie Agathe Gaillard, Paris
2019 – Urban Film Festival, “The Birth of Hip-hop With the Gangs of the Bronx”, Paris
Exposition de photographies et vidéos organisée par Mamadou Yaffa, parc de la Goutte d’Or, Paris
2018 – Keep on keeping on, projection du documentaire “Getting Lite”, La place, Paris
La photographie française existe…Je l’ai rencontrée, Maison Européenne de la Photographie, Paris
2016 – La Candeur Conquérante, Variation sur les écrits Corsaires de P.P Pasolini, Groupe Laura, Galerie RDV, Nantes, Paris et Tour
Life is Alive, Book Fête du Livre, Aix-en-Provence
2015 – O Samba Pede Passagem, Caixa Cultural, Rio de Janeiro
2012 – Musée de l’image contemporaine de Chengdu, Chine
2008 – Intim/Ita, Musée Kampa, Prague, République Tchèque
Chelsea Hotel Through the Eyes of Photographers, Chelsea Hotel, New York
2007 – Martine Barrat, Harlem in my Heart, Maison Européenne de la Photographie, Paris
Promises and Hopes of the 21st Century: The Government of Change and The Mexican Exodus to the United States 2000-2006, organisée par Mano a Mano: Mexican Culture without Border, International Center, New York
2006 – Joga Bonito, Nike Studio, Paris
Black Style Now, Musée de la Ville de New York
Dressing for New York City Childhood, Museum of the City of New York
2000 – La collection de photographie Agnès b., Centre National de la Photographie, Paris
You Do the Crime, You Do the Time, Yale University, New Haven
1999 – Boxing, Center for Art and Culture of Bedford Stuyvesant, New York
1998 – Pour regarder le siècle en face, organisé par l’UNESCO, Centre Culturel, Fort de France, Martinique
1997 – “Azzedine Alaïa”, Groninger Museum, Groningen, Pays-Bas
1995 – “A Century Apart: Images of Struggle and Spirit, Jacob Riis and Five Contemporary Photographers,” Museum of the City of New York, New York
1994 – Martine Barrat. Do You See Your Face, Etablissement Lyonnais d’Art Contemporain, Lyon
1993 – “Variations Gitanes”, Musée du Louvre, Paris
“In the Ring”, Snug Harbor Cultural Center (Newhouse Gallery), New York
“Galerie du Jour”, Agnes b. Gallery, Paris
1992 – This Sporting Life: 1878-1991, High Museum of Art, Atlanta, Georgia
1991 – Découvertes: An Exhibition of Boxing Photography, Bibliothèque Nationale, Paris
1989 – Donʼt You Know By Now, Philippe Briet Gallery, New York
My Friends, French Embassy, New York
1988 – Mois de la Photo, Musée dʼArt Moderne, Paris, France.
Splendeur et misère du corps humain, Musée dʼArt et dʼHistoire, Fribourg, Suisse
Photographie actuelle en France, Galerie Municipale, Toulouse
Harlem Festival, Italie
Découvertes : An Exhibition of Boxing Photography, Bibliothèque Nationale de Paris
1986 – Harlem Festival, Italie
1985 – Harlem and Boxing Photographs, organisé par le ministère français des affaires culturelles, République du Congo, République démocratique du Congo et Bénin
1984 – Photographie France Aujourd’hui, Musée d’Art Moderne, Paris
Martine Barrat, Musée d’Art Moderne et galerie du Jour, Paris
Martine Barrat, Institute of Contemporary Art, Boston
1983 – You Do the Crime, You Do the Time, Festival Avant Garde, Autriche
You Do the Crime, You Do the Time, ARCI, National Culture Association, Rome, Italie
Harlem, South Bronx Photographs, Nikon House, New York
Musée de la Photo, Charleroi, Belgique
Evidence, Henry Street Settlement, Louis Abrons Art Living Center, New York
1982 – Paris – New York Marathon, Mois de la Photo, Paris
You Do the Crime, You Do the Time, Filmfest München, Munich, Allemagne
You Do the Crime, You Do the Time, New Video Music USA, San Francisco
You Do the Crime, You Do the Time, “Guest Artist Series”, Massachusetts Institute of Technology, Boston
You Do the Crime, You Do the Time, City of Rome Festival, Italie
You Do the Crime, You Do the Time, Morrisania Neighborhood Family Center, New York
Return-Jump, The Kitchen, New York
1981 – You Do the Crime, You Do the Time, The Kennedy Center, Washington, DC.
“Photo-Politics”, Institute for Art and Urban Resources, New York.
“Child Boxer”, Galerie de la remise du Parc, Paris
You Do the Crime, You Do the Time, The Kitchen, New York
1979 – You Do the Crime, You Do the Time, Bâtiment de l’Ancien Séminaire, Fribourg
You Do the Crime, You Do the Time, Network Forum, New York
You Do the Crime, You Do the Time, TG Due Television Channel, Italie
You Do the Crime, You Do the Time, Université de Californie, Los Angeles
1978 – You Do the Crime, You Do the Time, “The New American Filmmaker Series”, Whitney Museum of American Art, New York
1977 – You Do the Crime, You Do the Time, “Schizo-Culture Conference,” Columbia University et Consulat de France, New York
PRIX
2000 – Membre de l’Ordre des Arts et des Lettres, Ministère français de la Culture et de la Communication
1984 – Meilleur film de l’année, Life Magazine
1978 – Meilleur documentaire, Festival du film de Milan
Pour en découvrir davantage sur l’oeuvre et les projets de Martine Barrat, vous pouvez visiter son site internet : https://www.martinebarrat.com/